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Les découvertes scientifiques ainsi que leurs applications semblent s’accélérer à notre époque. Le pouvoir de l’humain sur la nature est maintenant tel qu’il vient sérieusement mettre en danger les grands équilibres de celle-ci.

Les sciences dites exactes véhiculent, pour la plupart des gens, la vérité indéniable. Les autres domaines scientifiques tentent tant bien que mal de se hisser à un niveau de vérité comparable à l’aide de méthodes qui se veulent irréprochables mais qui demeurent à certains égards discutables. L’unité des savoirs scientifiques est postulée à l’aune de ces vérités confortées par l’efficience technologique et est érigées en dogme. C’est la tyrannie de l’efficience sur la matière.

Pourtant la plus grande partie des scientifiques, qu’ils appartiennent au domaine des sciences que l’on appelle couramment dures ou qu’ils appartiennent au domaine des sciences qu’il est plaisant d’appeler douces, savent bien que cette unité de la science est une illusion trompeuse.

Au sein même de certaines disciplines scientifiques actuelles il n’existe pas de consensus permettant d’affirmer l’unité de leur vérité. Par exemple, les deux principaux piliers de cette science fondamentale qu’est la physique qui ont été mis en lumière au courant du vingtième siècle, je veux parler de la théorie de la relativité et de la théorie quantique qui n’ont pas pu être unifiées en une théorie cohérente unique. Ce qui fait que ces théories, qui, pour faire simple, traitent respectivement de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, sont actuellement incompatibles entre elles !

D’une manière plus générale, on sait depuis longtemps que chaque domaine scientifique est séparé de chaque autre par ce que l’on a coutume d’appeler un fossé épistémologique ou même une faille épistémologique. Ces fossés viennent signaler les points de la théorie où une vérité d’un domaine vient heurter une vérité d’un autre. Des mathématiques pures aux sciences de l’humain, le territoire de l’ensemble de la science est ainsi parsemé de failles et de fossés qui semblent le plus souvent infranchissables.

Cette illusion trompeuse de l’unité de la science sous la bannière d’une seule vérité que l’avenir unifierait a aussi l’inconvénient majeur de rejeter la plus grande part du reste du savoir humain dans le domaine de l’aléatoire et, pour tout dire, du faux.

Pourtant, loin de moi l’idée de rejeter les savoirs scientifiques comme de nouvelles croyances. Les progrès de la connaissance scientifique sont au contraire tout à fait prodigieux et le langage humain qui en a permis l’émergence ne cessera pas de nous étonner par les efficiences toujours plus grandes qu’il permet. C’est juste qu’il faut admettre une fois pour toutes que nos vérités sont relatives et le seront toujours. Ce positionnement philosophique indispensable induit une modestie et un respect au regard de la nature et du vivant qui permettra d’aborder avec plus de sérénité les grands défis qui nous attendent compte tenu des conséquences néfastes de nos illusions et de notre long aveuglement égocentré.

Quelles qu’extraordinaires que soient leurs multiples découvertes, si l’on admet la relativité infinie de nos vérités scientifiques, il devient illusoire d’espérer trouver en celles-ci ce qui peut donner sens à nos vies et guider nos orientations conscientes, tant individuelles que collectives. Quelque instance supérieure qu’il conviendrait de qualifier de méta-philosophique sera alors indispensable pour servir de boussole aux organisations humaines de toutes dimensions et spécialement aux organisations chargées d’ordonner le collectif. Evidemment cette instance ainsi que ses sous-ensembles n’auront pas plus que les domaines scientifiques le privilège d’une vérité transcendantale, bien au contraire leurs orientations résulteront de choix éthiques relatifs à l’état actuel de nos connaissances indéfiniment limitées.

Même s’il est manifestement plus sage que la course en avant vers un progrès illusoire dont les conséquences sont de plus en plus gravement néfastes, un tel changement ne sera pas facile à admettre. Ce sera un pas de plus vers la relativisation d’une humanité déjà bien mise à mal dans ses prétentions à être le centre du monde.

Pas facile à admettre et encore moins à mettre en œuvre, en effet, même si cette instance gagnera à tenir compte de l’état actuel toujours plus complexe des connaissances acquises, ce qui est déjà un défi en soi, ses orientations déterminant le sens vers lequel nous orienterons nos énergies comporteront forcément une dimension de choix arbitré ne pouvant exclure l’erreur. La destinée humaine deviendrait alors inféodée à ce type de choix. Il convient cependant de noter qu’il s’agirait là d’une avancée de première importance par rapport à la situation actuelle où, malgré quelques tentatives partielles et partiales, jamais des orientations assumées pour toute l’humanité par des instances représentatives n’ont encore vu le jour.

Que l’aventure humaine soit orientée par des choix collectifs en conscience demeure néanmoins de l’ordre de l’utopie actuellement car le mode d’organisation de la représentativité d’une telle mise en œuvre est une pierre d’achoppement dont la résolution n’est même pas ébauchée sérieusement à ce jour. Il y a cependant urgence, non seulement pour l’humanité mais encore pour tout le vivant connu, à progresser rapidement dans cette direction.

Un socle commun doit faire consensus. Je propose que ce soit la préservation  et la mise en valeur la plus complète possible du vivant. « Dieu, c’est-à-dire la nature » nous disait déjà Spinoza dans sa grande sagesse. De fait, la seule émanation de ce qui nous a engendré et sur laquelle nous puissions agir est la nature. Non seulement nous devons en tenir compte de toute urgence mais encore il nous incombe d’en assumer la responsabilité. Nos découvertes scientifiques ne sont la plupart du temps que des déchiffrements limités ou des copies partielles d’éléments de la nature mais elles permettent depuis le début de la spécificité humaine des applications technologiques qui interfèrent frustrément avec la nature. Depuis le début, l’influence de ces applications technologiques va grandissante au point de bouleverser des pans entiers de ce qui est le fondement de nos origines, la matrice qui dépasse tous nos entendements, le vivant.

Du fait de l’absence d’une instance régulatrice commune, l’exploitation mercantile effrénée de nos ressources naturelles par la technologie vient mettre en grand danger la cohérence du vivant dont l’humain fait partie. Nous ne reviendrons bien sûr pas à une hypothétique nature primitive, nous devrons toujours faire avec ce que nous avons déjà fait de la nature. Mais nous avons la responsabilité collective de ce devenir et il nous faut commencer par éviter la catastrophe que nous avons générée. Si nous passons ce cap, notre destinée collective nous appartiendra plus que jamais, sauf accident cosmique évidemment. On pourrait alors parler à juste titre de l’aventure humaine. Pour l’instant, malgré un très grand nombre de destinées individuelles extraordinaires, l’humanité en tant qu’entité autonome n’existe à vrai dire pas.

Mais le plus probable est qu’il nous faudra encore longtemps et peut-être même toujours faire avec les divisions que nos limitations mentales et nos aléas pulsionnels nous imposent, nous poussant à nous entre-déchirer pour des causes stupides. Peut-être que tout comme l’individu semble actuellement condamné à la division entre ses pulsions et sa raison, en sera-t-il de même pour l’humanité dans son entier. C’est alors de tendre toujours plus vers cette communauté d’orientation qui nous permettra seulement d’éviter d’engendrer le pire, c’est-à-dire notre anéantissement collectif et éventuellement celui du vivant connu.

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Philippe Decan                                                     Nantes                                             Février 2020

Images animées: extraites de « Les Deschiens »

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